Accompagner en pratiques

mercredi 20 juin 2018, par Martine Couttelin

Cahiers pédagogiques - Dossier Accompagner en pratiques - n° 544 de mars-avril 2018

Penser la relation d’accompagnement de Maëla Paul, docteure en sciences de l’éducation.
L’accompagnement, c’est « être avec » et « aller vers » dans une visée de partage (ac-cum-pagnis), se joindre à quelqu’un pour aller où il va, en même temps que lui. La dimension relationnelle est première d’où la nécessité de construire une relation de confiance. Ce qui est déterminant, c’est la place de chacun. Or, il n’y a que deux places : la place de celui qui parle et la place de celui qui écoute.
Il faut que je soutienne la place de celui qui écoute : en reformulant ou en questionnant, je lui donne à entendre ce qu’il dit. Le professionnel accompagnant est écoutant et interpelant. L’objectif est de créer une relation comme contexte dans lequel il est possible de vivre une expérience. La démarche d’accompagnement propose l’expérimentation : notamment de l’autonomie dans la réflexion et la décision. Cette expérience doit ménager le droit à l’erreur, le droit au tâtonnement, le droit de changer d’avis, de se contredire, de créer sa propre approche. Car l’expérimentation est la source du changement. L’accompagnement consiste à agir au plus près de la personne, à se tenir à côté pour cheminer avec elle, personnaliser les actions. S’il s’agit d’inciter à agir, c’est pour impliquer et responsabiliser.
L’accompagnement se trouve entre une logique de contrat et une logique de coopération : le contrat est du côté de la neutralité des rapports et a pour objet de garantir que tout projet sera socialement acceptation, la coopération est du côté du lien, de la coconstruction, de la singularité.
On peut reconnaître à l’accompagnement une double visée : visée productive et visée constructive et ainsi une cocréation active et commune, une avancée concertée et concertante où les deux sont acteurs dans l’interaction. La relation doit mobiliser le sentiment réciproque de pouvoir être soi-même sous le regard de l’autre, et non de devoir répondre à ses attentes ou à s’en défendre relation dans laquelle il est possible de soutenir comme de confronter, de proposer comme de s’opposer. Il revient ainsi à l’accompagnant d’être le garant de la loi, être partie prenant d’une aventure sans jamais savoir si une chose va se passer, ni où ni comment. L’accompagnement est fondé sur une relation où chacun des acteurs n’essaie pas de dominer l’autre, de prendre la place de l’autre, où la différence de l’autre est perçue comme enrichissement, dans un partage de la décision à prendre, du pouvoir, des responsabilités.

 Au menu ou à la carte, de Sylvain Connac, enseignant-chercheur en sciences de l’éducation, Montpellier ?
Pour des « démarches de personnalisation des apprentissages » :
- personnaliser n’est pas individualiser ;
- personnaliser accorde une place importante au collectif, équilibre entre des situations de travail en groupe classe et d’autres où chacun poursuit ses apprentissages en fonction de ses besoins ;
- la coopération est ce qui unit collectif et individuel. Le questionnement est le fruit d’un travail en groupe, la coopération s’exerçant alors par une confrontation conflictuelle des idées de chacun. Pour les tâches de mémorisation, les élèves reconnaissent chez leurs camarades des ressources potentielles pour obtenir une aide nécessaire. La coopération s’exprime ici par de l’aide mutuelle ou du tutorat ;
- personnaliser s’accompagne d’une conception éducative de l’évaluation. Lorsque les élèves n’ont pas réussi du premier coup une évaluation, ils ont alors besoin de pouvoir la repasser dans des conditions similaires, une fois qu’ils ont repris leur entrainement. C’est un objectif des plages de travail personnalisé que d’accorder aux élèves un temps dédié pour reprendre leurs travaux et les pousser jusqu’à la validation des items concernés.
Il s’agit d’une organisation pédagogique qui articule la construction des apprentissages par une approche didactique, par du travail individualisé, par des interactions coopératives, sans décourager parce que chacun se trouve face à des obstacles d’apprentissages équivalents. Cette démarche convoque le travail en groupe restreint, le plan de travail, une formation préalable des élèves à la coopération, les livrets de progrès. Elle nécessite une posture telle qu’intervenir pour garantir un cadre de travail, pour répondre aux questions, pour garder de la distance pour ne pas réaliser à leur place. L’enseignant occupe une fonction d’ingénieur d’apprentissages. Cet investissement est un vecteur privilégié du plaisir et du sens d’enseigner.
 
La fabrique des inégalités ? Yann Volpé, enseignant en primaire et chargé d’enseignement, faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, université de Genève.
L’enseignant adapte ses attentes au lieu des moyens pour atteindre ces attentes. Dès lors, la tendance est de solliciter en priorité les élèves qui répondent aux attentes et qui identifient rapidement le savoir travaillé. Les faibles sont surtout sollicités sur des questions plus fermées et plus simples. Les élèves avec une image élevée ont donc davantage l’occasion de confronter leurs hypothèses, alors que cela serait surtout utile aux élèves qui rencontrent plus de difficultés. Il arrive que l’enseignant adapte le vocabulaire selon le niveau supposé des élèves. Par exemple, pour décrire un carré, ils utilisent les termes de « sommet » ou « côté » avec certains élèves et « coin » ou « bord » avec d’autres. Il faut utiliser systématiquement un vocabulaire didactisé avec tous les élèves et dans toutes les situations et réguler le comportement des élèves en les encourageant à réfléchir sur les stratégies à adopter dans la situation d’apprentissage.

Les situations d’enseignement ne sont pas envisagées de la même manière par l’enseignant et par l’élève : il y a donc un malentendu entre les deux parties sur ce que représente la tâche. D’une part, des obstacles importants sont sources de malentendus cognitifs. Le sujet de l’eau par exemple est un objet équivoque dans la mesure où il renvoie un objet quotidien à un objet de savoir (l’eau pour laver, ou boire et l’eau comme ressources). D’autre part, les savoirs sont souvent laissés implicites. Il faut donc accentuer les moments d’explicitation, c’est-à-dire verbaliser systématiquement un objectif clair, expliciter les attentes, mettre en mots.
La pédagogie coopérative permet de structurer le travail de groupe. Donner une tâche aux élèves à résoudre en groupe a tendance à augmenter les inégalités scolaires. Il est alors nécessaire de préparer les élèves à coopérer, en leur enseignant les habilités coopératives nécessaires, en proposant un climat de classe positif, donner des consignes coopératives.
Quand les représentations de la tâche ou du savoir en jeu sont partagées entre les élèves et l’enseignant, les possibilités de dérives vers de malentendus sociocognitifs sont alors réduites.

A contrecourant, Jean-Pierre Bourreau, Michèle Sanchez, intervenants dans l’accompagnement spécialisé

- De parler à écouter : faire émerger une parole des élèves aussi authentique que possible, que ce soit à propos du vécu scolaire, de la formulation des représentations ou des interrogations sur un objet de savoir, en évitant les questions et en privilégiant celles qui débutent par « comment ? », respecter les silences et les hésitations, ne pas répondre à la place des élèves, prendre au sérieux la parole émise.
- Du face-à-face au côte-à-côte : guider, cheminer avec et soutenir.
- Changer son rapport au temps de l’apprentissage : passer du temps contraint de l’enseignement au temps complexe de l’apprentissage. Inviter les élèves à faire des « pauses réflexives » (retour sur leur vécu scolaire, les gestes de l’étude, les apprentissages dans et hors l’école).
L’élève est une personne en devenir.

Posture solidaire ou charité officielle, Jean-Pierre Fournier, coordonnateur en éducation prioritaire
Pour vouloir un soutien, un rattrapage, quel qu’il soit, il faut penser qu’on en est capable, que ça vaut le coup, et ça, ce n’est pas sûr.

Coaccompagnons !, de Rémi Granier, maître E dans la Drôme et formateur dans le Rhône.
Définir 4 types de co-intervention concernant les besoins du maître de la classe et ceux de l’enseignant spécialisé :
- l’observation, les deux maîtres conduisent les activités alternativement, à fin de pouvoir coobserver la classe,
- la remédiation, le maître spécialisé a pu repérer ce qui favorise ou non le transfert. Du côté de l’élève, on s’intéresse au statut de l’erreur, à la résistance cognitive, au conflit cognitif-sociocognitif, à sa zone proximale de développement, à ses conceptions d’une notion, à ses représentations mentales, à sa capacité à avoir une attitude métacognitive.
- la différenciation. Penser à la fois « inclusion » et « différenciation », travailler sur le même objectif d’apprentissage mais avec des supports, des démarches et des outils personnalisés.
- l’accompagnement, avec de nouvelles approches pédagogiques telles que le « jeu pour apprendre », le principe des intelligences multiples.
Le maître spécialisé n’est pas un formateur mais un révélateur.


Un vaste malentendu, de Pierre Emery, PEMF, docteur en sciences de l’éducation, ESPE Rouen

Du soutien à l’accompagnement : le « débat sociologique étayé » par lequel l’élève explicite ses démarches et les confronte à celles de ses pairs. L’enseignant intervient en trois temps : solliciter les élèves afin que ceux-ci expriment leurs points de vue et explicitent leurs procédures ; mettre en évidence les divergences de résultats, de procédures, mettre en saillance le conflit sociocognitif, jouer un rôle de médiateur.
Il s’agit donc d’un étayage tant individuel qu’un étayage de l’interaction entre les élèves. L’activité proposée doit se situer dans la zone proximale de développement.
Ainsi la motivation des élèves est ravivée.
Les APC peuvent constituer une modalité d’accompagnement des élèves en difficulté dans le développement de leurs compétences. 

Savants et aventureux, de Emile Carosin, chercheuse en sciences de l’éducation en Belgique
Instaurer un dialogue avec les élèves à propos des conditions d’accompagnement permet de leur faire prendre conscience des facteurs individuels, contextuels et environnementaux.

A deux c’est mieux ! de Nathalie Poulelaouen, professeure de physique-chimie et accompagnatrice en éducation prioritaire à Quimper.
Le choix de mettre les élèves en ilots : ils travaillent seuls, à leur rythme et dans chaque groupe il y a un responsable de matériel, un secrétaire et un porte-parole. (c’est celui qui interpelle la professeure en cas de besoin ou qui présente oralement les exposés du groupe ou les procédures de résolution de problème).

L’ami critique, de Frédérique Cauchi Bianchi, conseillère académique recherche et développement en innovation et- expérimentation, Cardie de Nice.
Le bon ami, c’est celui qui vous permettra de faire un pas de côté réflexif, de prendre le temps de penser et d’analyser, sans juger. L’ami critique se départit de l’évaluation.
Du temps pour la réflexivité : mettre en place un rituel d’explicitation de ce qu’on a appris en fin de séance, dans un cahier d’apprentissage pour les élèves.

Laisser parler les petits papiers, de Jean-Louis Lamaurelle, formateur
Echanger en silence entre le formateur et le stagiaire par des écrits très courts et numérotés.

Les petits bonheurs du conseil des élèves, de Patricia Gérot, professeure des écoles
Florilège d’échanges.

Enseigner : apports des sciences cognitives, de Nicole Bouin, Canopé en partenariat avec les Cahiers Pédagogiques.

Les sciences cognitives recouvrent toutes les sciences, humaines ou dures, qui abordent le traitement de l’information par le cerveau, de la psychologie cognitive aux neurosciences qui, elles ne traitent, au sens strict du terme, que les notions biologiques et chimiques.

La neuroéducation, un dialogue entre chercheurs en neurosciences cognitives et enseignants sur l’apprentissage et les meilleures manières d’enseigner :
- Le cerveau se modifie en fonction des expériences tout au long de la vie
- Il faut connaître les processus mentaux pour entraîner les élèves à développer leurs capacités attentionnelles
- Les situations complexes s’avèrent plus efficaces sur la durée
- Les connaissances doivent être réactivées régulièrement pour être acquises, initier la mémorisation.
- On ne peut plus contester la dimension neurodéveloppementale des troubles dys.
- Les sciences cognitives démontrent l’efficience de l’enseignement distribué ou d’un climat bienveillant avec des accompagnements efficaces pour apprendre à se concentrer, à mémoriser, à gérer les addictions, à développer l’inhibition.
Les intelligences multiples sont considérées par les scientifiques comme un neuromythe.
Mais on peut se saisir de ce concept pédagogique pour rassurer les élèves sur leurs compétences, les ouvrir à d’autres approches, diversifier les supports d’enseignement.

Bibliographie : Construire des situations pour apprendre, vers une pédagogie de l’étayage de Laurent Lescouarch, ESF éditeur, 2018.

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