Profs : exécutants ou concepteurs ? Cahiers pédagogiques n° 562 - Juin 2020

lundi 28 septembre 2020, par Martine Couttelin

Parler à Wafik, Camille Fréchet, Céline Jacquet, rémi charoy, Audrey Cherubini, enseignants en classe mult-iâge.
Pour faire de l’hétérogénéité des élèves un atout et retrouver le goût du métier, quatre collègues coopèrent et mettent en place des classes multi-âges dans leur école, avec l’appui de leur directeur.

La liberté pédagogique, jusqu’où ?, Eirick Prairat, philosophe de l’éducation.
La liberté pédagogique devrait assurément figurer au rang des premiers principes déontologiques, car il n’est pas de transmission sans liberté d’enseigner et sans indépendance intellectuelle. Ce n’est pas une liberté restreinte mais raisonnée, car il n’y a de liberté qu’éclairée par la connaissance et le sens de la responsabilité. La liberté pédagogique n’est donc pas, comme certains ont pu le dire, contraire à l’idée qu’il existerait des "bonnes" et des "moins bonnes" pratiques. Que faut-il alors entendre par "bonne pratique" ? en matière d’enseignement, une bonne pratique comprend trois caractéristiques. Tout d’abord elle est efficace elle fait mieux apprendre que d’autres modalités pédagogiques. La seconde caractéristique est la justice. Est juste une pratique qui réduit ou à défaut maintient l’écart entre les élèves en réussite et ceux en difficulté. Enfin, une bonne pratique est fondamentalement partageable. ce n’est pas une pratique aristocratique qui exige d’être un génie de la pédagogie. Un élève est un sujet qui peut toujours refuser d’apprendre.
C’est parce que l’enseignant est responsable du dispositif qu’il met en place qu’il peut être amené à expliciter celui-ci. Où est sa liberté ? Elle réside dans la mise en oeuvre opportune et appropriée de ces dispositifs et de ces savoir-faire. Car l’activité d’enseignement est un ensemble de savoir-faire et de routines qui ne peut jamais être mis en oeuvre de manière mécanique. Choisir la bonne routine exige un sens de la situation. La liberté pédagogique relève de l’improvisation raisonnée. Mais la liberté pédagogique peut aussi être comprise comme liberté collective. Elle ouvre la possibilité d’expérimenter. En s’inscrivant dans le cadre collégial de l’établissement, la liberté pédagogique peut prendre la forme de l’expérimentation. Elle vient alors prolonger la liberté première du professeur qui est l’art de mettre en oeuvre de manière appropriée et intelligente les pratiques les mieux assurés.

Pas sans les collègues, Louise Gerber, professeure de SVT au lycée Bergson à Paris.
Mes objectifs éducatifs : éducation au développement durable, éducation à la santé et importance du bien-être à l’école pour favoriser les apprentissages (animation d’atelier de relaxation, initiation aux questions philosophiques) ou encore éducation à l’égalité entre filles et garçons à travers u projet sur les stéréotypes de genre. Tous ces projets m’ont promis de développer ma créativité et d’exercer ma liberté pédagogique au service de la réussite des élèves.
Dès qu’ils ne se sentent pas en situation scolaire classique de réussite ou d’échec, on observe un impact positif sur leur motivation t l’entrée dans les apprentissages. Du point de vue des enseignants, ces expériences permettent d’être davantage dans l’accompagnement des élèves et dans la co-construction des apprentissages.
L’engagement dans des projets permet de sortir de l’isolement de nos classes, de nouer un dialogue avec nos pairs, d’enrichir et de mutualiser nos pratiques. Il n’y a pas plus belle formation continue que la construction de projet d’équipe. La dynamique et l’émulation associés à la construction du projet sont source d’une énergie incroyable.
J’ai compris en quoi la relation entre élève et enseignant, mais aussi entre enseignants, permet de construire un climat scolaire apaisé et donc des conditions propices à l’apprentissage, et conduire ainsi à la réussite de tous nos élèves. A travers le travail interdisciplinaire, nous apprenons les uns des autres nous donnons du sens aux apprentissages pour les élèves qui, en retour, donnent sens à nos pratiques d’enseignement. Le travail en équipe nécessite un dialogue permanent et transparent sur nos pratiques et sur le contenu de nos enseignements. Les élèves le ressentent, notamment lors des séances de co-animation, qui peuvent permettre l’apaisement de conflits entre élèves et professeur, mais également permettre aux professeurs de porter un autre regard sur tel ou tel élève, ce qui aura ensuite des effets bénéfiques à long terme sur la relation entre élève et enseignant.
J’ai aujourd’hui, avec le recul, le sentiment d’avoir grandi avec mes élèves. Et cette quête de sens à donner à leurs apprentissages en nous permettant de développer eux et moi des compétences psychosociales et créatrices, encore trop peu valorisées par notre institution.

La grille et la boussole - Comment rendre les futurs enseignants plus autonomes dans la conception ou l’adaptation de séquences d’enseignement apprentissage ? Une expérience belge - Natacha Duroisin, chargée de cours, école de formation des enseignants, université de Mons, Alicia Allegri, institutrice primaire et assistante de recherche, Institut d’administration scolaire, université de Mons, Romain Beauset, assistant de recherche, Institut d’administration scolaire, université de Mons.

La grille d’analyse apparait comme un outil amenant les enseignants à se montrer critiques face aux dispositifs qu’ils peuvent trouver sur l’internet, dans des ouvrages ou dans des pratiques de collègues.
 

"Et bang, dans le mur !", Rachel Harent, professeure des écoles, Finistère.

Questions à Bernard Charlot.
Pour changer vraiment l’école, il faut la changer avec des gens normaux. Contre les logiques de la performance, de la concurrence, de la compétition qui sont des logiques capitalistes, je mets en avant une exigence de retrouver la question de l’homme dans l’éducation. Une grande partie de ce que nous enseignons ne "sert" à rien, ce qui ne veut pas dire qu’on ne doive pas l’enseigner. Quand des élèves me demandent "à quoi ça sert ?", je réponds "ça ne sert à rien". Ils sont surpris parce qu’ils attendent un mensonge pédagogique. En retour je leur demande : "Et le football, ça sert à quoi ? et danser, ça sert à quoi ?" Je défends l’idée qu’il faut sortir de cette logique de l’utile et réfléchir sur ce qui est important.Ce que je considère important est : humanisation, socialisation, singularisation. Mais l’utile, ça suffit. Les neurosciences produisent des résultats qui méritent attention, mais leurs résultats restent dans une logique d’optimisation des processus de mémorisation et d’apprentissage, donc d’utilité. Moi je demande : "Et l’important ?".
Si je réintroduis une perspective anthropologique, avec appui sur la paléoanthropologie, c’est pour inscrire ces pratiques dans l’histoire humaine dont nous sommes des maillons. Il faut recommencer à penser les hommes comme un moment dans une histoire humaine, dont nous sommes héritiers vis-à-vis des générations antérieures et comptables vis-à-vis des générations futures : quels contenus intellectuels, quelles valeurs voulons-nous transmettre aux générations futures ? Question centrale.
Le problème est de changer les pratiques partout, avec tous les enseignants, et pour cela, il faut que les militants pédagogiques soient liés d’une façon ou d’une autre avec des militants sociaux et, éventuellement, avec des militants politiques, et ne pas refermer la militance sur elle-même.

Dans la même rubrique